Moins qualifié que quiconque — puisque non-historien — pour prendre la parole dans ces Annales, et ne m'y étant résolu qu'avec les scrupules que l'on devine aisément, je voudrais m'efforcer de soumettre aux spécialistes quelques réflexions nées de la comparaison entre la lecture d'ouvrages historiques et d'ouvrages d'autre sorte, qu'il s'agisse de philosophie, de sciences ou de ce que l'on appelle la littérature d'imagination. Je ne me dissimule point le caractère banal de ces réflexions, mais peut-être les services qu'elles peuvent rendre résident-ils précisément dans leur banalité.

Les historiens, les juristes et les économistes qui ont étudié l'activité commerciale et l'emploi des capitaux en Italie, du milieu du XIIe siècle à celui du XIIIe, ont établi une distinction entre les villes maritimes et les villes à l'intérieur des terres. Dans les villes mari-, times, et d'une façon plus particulière dans leur trafic par mer, les risques ont incité à concevoir séparément chaque opération, tandis que, dans les villes de l'intérieur, surtout dans leur trafio local ou uniquement terrestre, les rapports entre les commerçants, ou entre les commerçants et les capitalistes, ont été plus étroits et prolongés: le contrat typique était, dans les premières, celui qui liait un commerçant partant au loin à un capitaliste demeurant sur place (commenda et societas maris), dans les secondes, celui qui, dérivé des accords en famille (compagnie:), réservait une place dans une activité combinée et régulière à des employés ou à des compétences reconnues, ainsi qu'à des personnes disposant de capitaux qu'elles avaient gagnés elles-mêmes et désireuses de poursuivre leur activité.

Dans les pays où la population a atteint une certaine densité, on voit se fragmenter les grandes exploitations agricoles et se former, de leurs débris, tantôt de petites, tantôt de moyennes exploitations. C'est la conséquence, principalement, d'une intensification des systèmes de culture. Alors que les théoriciens s'acharnaient à définir la structure et l'étendue idéales de l'exploitation agricole, les uns se prononçant pour la petite, les autres pour la grande, la réalité se chargeait de montrer que leurs discussions ne reposaient pas sur une base logique. Il n'y a pas en effet de type qui puisse être en principe considéré comme supérieur aux autres. Chaque milieu, combinaison de facteurs naturels et humains, impose son type spécial d'entreprise — grande, petite ou moyenne : celui-là même qui correspond le mieux aux systèmes de culture en vigueur.

Mr Henri Hauser qui — nos lecteurs ne l ignorent pas — représente la France au Comité Scientifique International pour l'Histoire des Prix, a rédigé des «instructions pour les collaborateurs français». Il commence par quelques observations générales. D'abord, sur la notion même de France : un assez grand nombre de nos provinces, dans le passé, non seulement sont demeurées longtemps étrangères, politiquement parlant, au royaume, mais, ce qui est ici plus grave, ont appartenu à des groupements que leurs caractères économiques différenciaient nettement du milieu français : tels les pays de domination espagnole ; il y aura lieu évidemment, dans l'élaboration des données, de tenir grand compte de ce fait ; quant à savoir dans quelle mesure l'enquête française devra s'étendre à chacune de ces régions ou rechercher, pour les étudier, l'aide de collaborateurs d'autres nations, c'est là avant tout, Mr Hauser le note justement, une question de documents : tout dépend des destinées présentes des archives intéressées.

Que les livres de raison comptent au nombre des plus précieux témoignages dont dispose l'histoire économique et sociale, on l'a déjà dit bien souvent ; mais du précepte, on ne s'est peut-être pas toujours suffisamment préoccupé de passer à l'exemple. Parmi les documents de cette nature qu'il nous a été donné d'examiner en Bretagne, l'un des plus intéressants est sans aucun doute celui que tint, de 1749 à 1774, un membre du Parlement de Bretagne, Louis-Charles-Marie de La Bourdonnaye de Montluc. Né en 1704, ce personnage devint, dès 1730, président de la Chambre des Enquêtes, en remplacement de son pere ; il devait mourir en 1775.

Féodalité : le mot est solidement ancré dans l'usage ; il avait, dès les Cahiers de 1789, il possède de nos jours encore — associé à l'ordinaire, dans cet emploi, aux épithètes plus modernes de « financière » ou d’ « industrielle » — une valeur émotive certaine. De son histoire exacte, cependant, nous ne savons à peu près rien. C'est le sort commun de notre vocabulaire historique le plus habituel. Incontestablement, dans le sens élémentaire de «relatif à un droit de fief » (feodum), l'adjectif latinisé feodalis remonte au plein moyen âge et sa transcription française n'est sans doute pas beaucoup plus jeune. Mais le véritable problème n'est pas là : ce qu'il faudrait déterminer, c'est le moment où, pour nommer tout un régime social, on a commencé à parler soit de féodalité, soit, plus souvent peut-être et plus tôt, avant que la mode des substantifs abstraits ne se fût répandue, de « système » ou encore, comme Voltaire, de « gouvernement » féodal.

Que l'homme d'entreprise, dont les initiatives tissent au jour le jour la trame des faits présents soit, tout aussi bien que l'historien, tributaire et bénéficiaire des progrès de la psychologie : cette vérité ne justifierait pas nos Annales de vouloir suivre, dans leur complexité mouvante, des recherches conduites partout, aujourd'hui, avec un renouveau d'ardeur et d'énergie. Ni même de faire place, dans leurs comptes rendus, à des ouvrages généraux, si pleins d'enseignements soient-ils : je songe tout particulièrement, pour n'en citer qu'un, à la remarquable Introduction à la Psychologie Collective publiée, il n'y a pas longtemps, par le Dr Charles Blondel.

Les publications des sociétés savantes sont souvent d'excellents instruments de travail pour l'historien de l'habitat. C'est ainsi que nous devons à la Société des Amis des Arts et des Sciences de Tournus de pouvoir nous faire une idée assez précise des vicissitudes de l'occupation du sol dans ce coin de Saône-et-Loire. Sur quatorze communes du canton de Tournus, seules les trois plus écartées — Ratenelle et Romenay-en-Bresse, La Chapelle-de-Brancion- en-Montagne, — n'ont pas encore trouvé d'historien. Deux châtellenies, la plupart des seigneuries ecclésiastiques ont été étudiées ; l'archéologie des trois derniers millénaires a fait l'objet de répertoires soignés. De ces travaux — de ceux en particulier de Mrs Martin, Jeanton et Dard — se dégagent quelques résultats d'une exceptionnelle netteté.

Il y a plusieurs thèses dans la thèse de Mr Axel Somme. Sonlivrex, quoique un peu touffu, n'en est pas moins riche de renseignements utiles ; il reflète ainsi la complexité et l'enchevêtrement des intérêts autour de la métallurgie lorraine, — cette épithète prise au sens large et d'ailleurs géographique du mot : Lorraine française d'avant-guerre, Lorraine allemande désannexée, Luxembourg. Mais l'auteur ne s'est pas borné à une étude de la métallurgie depuis la découverte du procédé Thomas et de la mise en valeur du bassin de Briey jusqu'à l'après-guerre ; il y a ajouté un aperçu sur la sidérurgie — avant et après la guerre — des bassins houillers voisins.